Les retrouvailles avec le Limousin

1988 : La parole du poète sur les bords de la Luzège

Philippe Ponty, Festival de la Luzège

« A la fin du mois d’août 1988, Pierre Vial, alors metteur en scène de Geoffroy Tête-Noire et de la mère confidente pour la deuxième édition du festival de la Luzège, lit en public un texte puissant et dérangeant.

Les membres de l’association et les artistes sont réunis pour écouter  « Les possibilités du train 713 en provenance d’Auschwitz », et découvrir ainsi l’univers et la parole de Gatti.

On se pose la question de l’accueillir, de lui proposer de s’installer à Lapleau avec son équipe le temps d’une aventure, d’un spectacle, d’un festival. Le débat s’ouvre et la jeune Luzège répond ce jour-là, qu’elle ne se sent pas prête, pas assez forte. C’est partie remise. »

 

1996 : Premiers terrains de parachutage en Corrèze

 

Manée Teyssandier, Peuple et Culture Corrèze

Pour Peuple et Culture, la nécessité de la présence de Gatti, de sa vitalité créative, de la force et de la radicalité de sa langue, de sa pensée, de son théâtre est bien plus ancienne encore. En 1967 Peuple et Culture accueille au Théâtre de Tulle, V comme Vietnam produit par le « Collectif intersyndical d’action pour la paix au Vietnam », joué par les comédiens du Grenier de Toulouse devant 700 spectateurs. (A cette époque l’Association invite en Corrèze, les grandes troupes de la décentralisation théâtrale en s’appuyant sur un réseau de spectateurs actifs).

Et jamais ne fut coupé le fil de l’attention que nous avons porté à son travail et à son écriture en découvrant à plusieurs reprises ses  créations au festival d’Avignon et plus tard après qu’il  eut quitté la scène du « Théâtre institutionnel » à travers les films qui accompagnèrent ses expériences en dehors des sentiers battus.

Mais c’est bien en 1996, effectivement que le fil se renouera fortement. Hélène Châtelain monte cette année là le texte de Gatti « l’Enfant rat » à Limoges dans le cadre du festival des Francophonies. Texte adressé au camp et à la Résistance mais tourné vers le monde de l’Après qu’il interroge. Elle propose alors que se constituent librement en Limousin des “terrains de parachutage” pour “le manuscrit en attente”, un texte de Gatti – ni poème ni texte dramatique mais le tout en même temps. Un immense récit fleuve qui raconte l’aventure des mots cherchant à devenir l’écriture.

 

Sept groupes sont rassemblés, au fil des mois. Sept groupes volontaires, autonomes, hors de toute logique de consommation ou de production culturelle. Sept groupes qui ont pris sur eux la pleine responsabilité de faire exister, autour du texte de l’Enfant Rat qui interroge l’après-guerre, le langage du maquis, de la cache et du sifflement clandestin du rouge-gorge de la Berbeyrolle.

A Tulle, le terrain de parachutage de Peuple et Culture prend deux formes : une lecture d’extraits du manuscrit en attente par l’atelier théâtre sur le lieu même de la prison où le jeune Gatti fut enfermé après son arrestation (à l’emplacement actuel de l’Ecole Turgot) et puis une nuit la ville est prise d’assaut pacifiquement par les mots de Gatti mais aussi des poètes qui l’accompagnaient quand il débarqua à Bugeat un jour de l’hiver 42 pour rejoindre le maquis de Guingouin : Michaux, Rimbaud, Lao Tse, Char…

2005 : Les retrouvailles avec le plateau

Manée Teyssandier, Peuple et Culture

Pendant l’été 2004, je croise Hélène Chatelain aux Etats Généraux du cinéma documentaire à Lussas. Elle me fait part du désir de Gatti de trouver un lieu en haute Corrèze prés du « trou » de la Berbeyrolle pour venir y écrire, y séjourner. J’explore plusieurs possibilités de gîtes, de lieux et au printemps 2005, Gatti reprend physiquement contact, sur le plateau, avec les lieux qui l’ont en grande partie fondé.

 

Francis Juchereau, Cercle Gramsci, Limoges

« La rencontre d’Armand Gatti avec le cercle Gramsci[1] eut lieu en juin 2005. Tardive, comme certaines vendanges (Gatti était octogénaire, le Cercle avait 20 ans d’activités), cette rencontre marqua les grandes retrouvailles de l’auteur avec le Limousin. Elle fut au départ d’une étonnante réaction en chaîne.

En juin 2005 Armand Gatti est en Corrèze ; Manée Teyssandier de l’association Peuple et Culture lui remet un livre, Georges Guingouin, chemin de Résistances. Ce recueil (éditions Lucien Souny, 2003) contient un entretien accordé par le Premier maquisard de France au cercle Gramsci de Limoges. Gatti s’empare de l’ouvrage. La rencontre passionnée avec les mots du « testament » de Raoul fait rejaillir à leur source les savoirs et les combats de sa propre existence. Un contact est aussitôt pris avec le Cercle….

Automne 2005, Guingouin est mort. Par une coïncidence extraordinaire Armand Gatti apprend la nouvelle sur le quai de la gare de Limoges en se rendant sur le plateau de Millevaches pour faire une lecture, répondant à notre invitation. Arrivé à Gentioux, surpris et bouleversé, Gatti tombe dans les bras d’un de ses anciens camarades de maquis. Il y a beaucoup de monde à la veillée de Gentioux et il est question, pêle-mêle, de Raoul, de la Résistance, de la Chine de la Longue Marche, de physique quantique… Le poète nous conte des malheurs que nous ne soupçonnons pas : la violence et la séparation qui nous habitent à cause des représentations du monde, anciennes et actuelles, qui nous amènent, souvent à notre insu, à détruire nos sources de vie : nos liens vitaux à la nature et à l’univers.

Gatti à Gentioux le 29 octobre 2005

Le lendemain, Armand Gatti se rend à la ferme de la Berbeyrolle où il prit le maquis. Il y retrouve dans leur verticalité son trou, ses arbres et ses morts. L’ombre immense de Raoul – Lo Grand – les enveloppe. »

 

2006 : Un poème universel en hommage à Guingouin

Francis Juchereau, Cercle Gramsci, Limoges

« Le printemps suivant, Gatti rendait hommage au Libérateur de Limoges en offrant un grand poème: « Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin, poème rendu impossible par les mots du langage politique qui le hantent, mais dont les arbres de la forêt de la Berbeyrolle maintiennent le combat,  par son toujours maquisard ‘Don qui ?’ » Entre temps, en mars 2006, Hélène Châtelain, cinéaste, proposait durant un week-end au château de Ligoure (87) une immersion dans l’œuvre de l’écrivain-combattant. Il s’agissait d’un atelier du Cercle appelé « auto école », réunissant 25 personnes venues de toute la région, au cours duquel une approche du parcours et de l’écriture de Gatti fut proposée à travers débats et lectures.

Puis « Les cinq noms de Résistance… », furent édités à Limoges aux éditions « Le bruit des autres » en collaboration avec le cercle Gramsci qui accompagna le texte d’une préface, de notes et d’un lexique. « 

23 septembre 2006 : La lecture de la Berbeyrolle

Photo : SERgE

 

Francis Juchereau, Cercle Gramsci, Limoges

« Le 23 septembre 2006, sous l’orage, dans l’enceinte de la ferme des paysans limousin qui, en 1942, à 18 ans, le recueillirent et le planquèrent, Armand Gatti lut pendant deux heures, devant plus de deux cents personnes, son hommage à Georges Guingouin, au Limousin et à l’esprit de résistance. La première pierre du Refuge des Résistances était posée. »

Photo : SERgE

 

 

[1] Le cercle Gramsci, créé à Limoges il y a bientôt 25 ans, est une association qui poursuit et participe à une tradition régionale de gauche, vivace: l’animation de cercles culturels, d’espaces de réflexion et d’universités populaires.